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Nation

Une fois n’est pas coutume, je vous inflige aujourd’hui un article plus politique.

Avant d’écrire quelques mots sur l’histoire de l’Arménie, j’ai eu envie d’écrire cet article sur la notion de nation. Cela peut paraître hors de propos dans un blog de voyage. Mais ça ne l’est pas. Un voyage, surtout un tour du Monde, est une occasion de se confronter avec la différence. D’ailleurs le pluriel sied mieux au mot « différence » dans le cas présent car cette altérité est polymorphe ; elle touche la langue, la culture, l’environnement climatique et ses conséquences sur l’organisation de la vie, la géographie, l’histoire, la politique… Mais au-delà de la rencontre de l’autre, le voyage est aussi l’occasion de prendre du recul par rapport à la vie laborieuse qui accapare souvent l’esprit et l’empêche de s’ouvrir à des questions plus globales.

Lors de notre tour du Monde nous aurons visité une vingtaine de pays. Partout nous avons rencontré les mêmes constructions politiques visant à donner un sens au mot pays, à marquer la différence entre les citoyens et les étrangers, à narrer un récit national, à susciter le sentiment d’appartenance à la nation et développer une fierté nationale. Nous traversons des frontières. A chaque fois, le même processus se répète. Les douaniers auscultent les passeports, vérifient l’adéquation de la photo avec la personne physique qu’ils ont en face d’eux. Pour l’anecdote, ils ont souvent tiqué en voyant la photo d’Elise car l’orage que nous avons subi en visitant les ruines mayas de Coba, a irrémédiablement altéré la photo de son passeport. Les douaniers finissent par délivrer l’autorisation d’entrée dans le territoire en apposant leur tampon. Leur visage généralement fermé manifeste le sérieux de l’affaire! Et ensuite, les personnes que nous rencontrerons nous demanderont systématiquement comme première question, d’où nous venons, comme si le pays d’émission de notre passeport était la chose primordiale qui nous définissait. Lorsque nous naissons, nous sommes étiquetés, catégorisés, enfermés dans une entité nationale. Tout ce que je dis semble évident. Mais je crois qu’il faut se méfier des évidences, les remettre en question, pour progresser un peu sur le chemin de la liberté.

Bien sûr, je ne nie pas que le fait d’être français, d’avoir été à l’école en France, de lire essentiellement en français, de penser et de m’exprimer avec la langue française, sont des éléments déterminants qui définissent ma personne. Pour autant, je suis persuadé qu’en tant qu’être humain je suis beaucoup plus proche, par la pensée et la personnalité, de beaucoup de personnes qui ne sont pas françaises que de la plupart de mes concitoyens. Et je ne dis pas cela pour critiquer mes concitoyens, quoique parfois les réactions collectives en France me plongent dans un désarroi sans fond. La nationalité est une base qui fonde l’individu. Si le pays d’appartenance est inscrit dans l’histoire personnelle de chacun, je ne pense pas qu’il s’agisse de la caractéristique principale d’un individu.

Ceci étant posé, je trouve intéressant de s’interroger sur ce qu’est une nation. Je défie quiconque de donner une définition claire et universelle de cette notion. Je vous laisse lire les définitions qui sont dans les dictionnaires. Je n’en ai pas sur moi! Voici la définition du Wiktionnaire : « Ethnie, peuple, communauté humaine qui possède une unité historique, linguistique, culturelle, économique plus ou moins forte ». Peut-on faire définition plus vague? On y lit les efforts faits par l’auteur pour englober des situations bien éloignées les unes des autres. Qu’est-ce qui détermine les contours d’une nation? Ses frontières? Les frontières n’ont cessé de changer depuis des siècles. Elles sont souvent la cause des guerres. Tel pays ou tel peuple veut récupérer tel territoire sur lequel il estime avoir des droits ancestraux. Malheureusement, il est difficile de définir cette notion de droit car l’Histoire est faite de conquêtes, reconquêtes, métissages, mouvements de population, échanges commerciaux et culturels, émigration et immigration… Puisqu’il n’y a pas de droit qui fasse sens, c’est souvent la loi du plus fort qui finit par dessiner le contour des frontières. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale a tenté de figer les frontières pour éviter de nouveaux conflits. Le droit international est une expression utilisée pour défendre l’intangibilité des frontières. Certains ont même évoqué la fin de l’Histoire. Des frontières définitives qui définissent une permanence du Monde. Est-ce que cela a du sens? La volonté d’empêcher les conflits est en soi louable. Malheureusement, nous constatons que cet espoir a vite été déçu. Les empires coloniaux se sont désagrégés et ont créé des frontières et fait naître des pays qui, pour beaucoup d’entre eux, n’avaient jamais existé en tant que tel avant la seconde guerre mondiale. Les frontières sont souvent contestées et objets de conflits ouverts ou larvés. L’Union Soviétique que l’on peut considérer d’une certaine manière comme le dernier empire à s’être effondré a donné naissance à 15 pays. On voit bien à quel point les frontières de ces pays ne sont pas stables. Plus proche de nous, il faut également se souvenir de la désagrégation de la Yougoslavie qui a donné naissance à 7 pays aux frontières fragiles. Aujourd’hui, la Serbie et le Kosovo envisagent d’échanger des morceaux de territoire pour donner plus de cohérence à leurs périmètres nationaux. Encore plus proche, qui peut dire que la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne ou le Canada garderont dans les prochaines décennies leurs frontières actuelles? Enfin, les frontières françaises elles-mêmes ne sont stabilisées que depuis 75 ans. Qu’est-ce que 75 ans à l’échelle de l’Histoire? La longue période de paix que l’Europe occidentale a connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale a fait naître le sentiment que la paix était éternelle dans ce coin du Monde. Je suis convaincu que tout cela reste fragile et que la paix n’est jamais définitivement acquise.

Les frontières ne suffisent pas à définir ce qu’est une nation.

Est-ce la langue? Nous partageons la même langue avec nos voisins wallons et romans, avec nos cousins québécois, sans parler des anciennes colonies qui ont gardé le français comme langue officielle. Formons-nous pour autant une nation? Bien sûr que non! A l’inverse donnons-nous raisons aux séparatistes flamands ou catalans qui fondent une partie de l’argumentaire en faveur de la séparation sur une différence linguistique. Est-ce que ces pays multi-linguistiques n’ont pas lieu d’être? Que dire de la Chine qui compte des dizaines de langues ou dialectes différents classés en 8 grandes familles linguistiques?

La langue, pas plus que les frontières, ne suffit à définir une nation.

La même démonstration peut être faite avec la religion.

Si ni les frontières, ni la langue ni la religion suffisent à définir la nation, alors peut-être que l’histoire commune permet-elle d’y parvenir? Mais de quelle histoire parlons-nous? Celle des bretons, celle des alsaciens, celle des bourguignons ou celle des basques? Il n’y a pas une histoire. Il y a des histoires entremêlées où les dimensions locales, régionales, nationales, globales se superposent.

On le voit, il n’est pas possible de trouver une définition claire et universelle de la nation. C’est une notion fortement colorée de politique. On construit des récits nationaux, on s’invente une histoire commune, on glorifie des héros, pour créer une cohésion nationale, susciter l’adhésion et la fierté. Vous comprenez pourquoi je me méfie de ce mot. Parce qu’il correspond à une construction artificielle qui fait oublier aux hommes leur caractéristique principale : leur humanité. Dans son livre « Sapiens : une brève histoire de l’humanité », l’historien Yuval Noah Harari nous rappelle que les nations sont des pures inventions humaines : des concepts, autrement dit des idées. Le mot nation exclut, oppose, pointe du doigt l’étranger voire désigne un ennemi.

La notion de pays me semble plus aisée à manier. Un pays se définit par un territoire, une citoyenneté, un régime politique, des lois, à un moment donné de l’Histoire. Je crois que ce serait une erreur de considérer que les pays tels qu’ils existent aujourd’hui sont des entités stables. L’Histoire n’est pas finie. Est-ce que le Monde continuera à évoluer vers un morcellement en entités politiques toujours plus petites ou est-ce qu’au contraire émergeront des ensembles plus vastes? Les 2 mouvements, vers plus de globalité ou vers plus de proximité, ont leurs atouts et leurs défenseurs. La gestion plus globale permet de mieux appréhender l’intérêt général (pour peu que les mécanismes en place permettent d’éviter que cette gestion ne soit accaparée par de grands pays prédateurs à leurs seuls profits!). L’Europe, l’ONU ou les conférences internationales sur le climat correspondent à une tentative de prendre en compte l’intérêt général. Malheureusement, nous constatons que ces organisation souffrent de certaines limites et qu’elles restent dominées par la confrontation des intérêts nationaux. Malgré tout l’Europe me semble une tentative plus concrète et plus aboutie de dépasser les seuls intérêts particuliers. Et n’oublions jamais que ce travail en commun avec nos voisins, s’il est compliqué, mal aisé, est infiniment préférable à la concurrence des nations, qui mène in fine à la confrontation. La gestion globale est compliquée. Les progrès paraissant lents et la globalisation économique (qui est souvent confondue avec la globalisation de la politique) étant souvent source de souffrances, de nombreuses personnes ne croient plus aujourd’hui aux solutions globales et cherchent un refuge dans des organisations de proximité, ressenties comme étant plus à taille humaine et plus en adéquation avec les enjeux écologiques de notre temps. Je crois évidemment que la solution réside dans une bonne articulation entre le niveau global et le local. Penser l’un sans l’autre me semble être une erreur.

 

Notre voyage contrarié par un village péruvien en état d’insurrection

Je ne vous ai pas encore raconté les moments passés dans les Andes à Cusco, au Machu Picchu ou sur le lac Titicaca. Je le ferai dans les tous prochains jours.

Mais avant, il m’a semblé plus important de vous raconter à chaud notre périple d’hier entre Puno, au Pérou sur le bord du lac Titicaca, et La Paz, la capitale administrative de la Bolivie.

La distance entre Puno et La Paz est inférieure à 300 km. Une journée dédiée à ce trajet en car semble, à première vue, raisonnable. D’ailleurs, il n’existe pas d’autres moyens commodes pour joindre ces deux villes proches. Il existe bien un aéroport à proximité de Puno, à Juliaca (1 heure de route quand même). Mais il n’y a pas de connexion directe entre cet aéroport et celui de La Paz. Il faut prévoir au minimum deux changements et 16 à 18 heures pour l’ensemble du voyage.

Sur le conseil de l’hôtel où nous résidions à Puno, la veille de notre départ – samedi 3 novembre, nous nous sommes rendus dans le centre de Puno pour réserver notre trajet en car auprès de l’une des agences de voyage. L’hôtel nous avait indiqué qu’elles étaient fiables et proposaient toutes des services comparables. Nous avons donc réservé notre billet dans la première agence venue : Transzela.

Il y a deux routes pour faire le trajet Puno-La Paz. La première route contourne le lac Titicaca par le sud et passe la frontière au niveau de la petite ville de Desaguadero (environ 2.000 hab.). La seconde route passe la frontière au niveau de la ville de Yunguyo (environ 11.000 hab.), passe par la station balnéaire bolivienne de Copacabana (6.000 hab.), puis traverse le lac Titicaca au niveau du détroit de Tiquina avant de rejoindre La Paz. Nous espérions obtenir des billets pour le premier trajet car il est plus rapide : il peut être bouclé en 5 heures, formalités de douanes incluses, quand il s’élève plutôt à 7 heures pour la seconde option. Malheureusement, l’agence de voyage nous a indiqué qu’il n’existait plus que des billets pour le trajet passant par Copacabana, avec un changement de car dans la station balnéaire bolivienne. L’heure d’arrivée était prévue entre 15h et 16h, heure bolivienne (La Bolivie a une heure d’avance sur le Pérou). Nous nous sommes donc résolus à les prendre. Nous avons choisi un car plutôt luxueux : deux niveaux, sièges larges complètement inclinables, wi-fi… Le prix restait tout à fait abordable : 200 sols pour 4, soit environ 50 € à 4.

Dimanche matin, nous nous sommes levés à 5h30, le temps de boucler les valises, de prendre un petit-déjeuner rapide et de nous rendre en taxi au terminal de bus, pour 6h30.

Après quelques formalités d’enregistrement et de taxes au terminal de bus, nous rejoignons la zone d’embarquement. Le conducteur nous apprend alors que l’on risque d’avoir quelques difficultés sur la route car il y a une grève dans la ville de Llave à une heure de route de Puno. Il nous indique que si la route est bloquée, nous devrons quitter le car, récupérer les valises et marcher environ 2 kilomètres pour retrouver un autre car. Nous nous y résignons. Nous partons à 7h comme prévu.

Après une heure de route, nous arrivons au lieu du blocage : devant nous, une ligne continue de cars et de véhicules arrêtés sur le bord de la route. Le car navigue encore quelques centaines de mètres, laissant subsister un dernier espoir, puis il se gare et arrête son moteur. Nous sommes invités à descendre du véhicule et à récupérer nos bagages pour commencer à marcher.

Nous sommes à 3.500 m d’altitude, le soleil brûle. Heureusement, nous avons nos casquettes qui nous protègent du soleil. La température est acceptable autour de 20°C mais avec nos gilets et parka ou doudounes légères, elle nous semble rapidement oppressante. Nous enlevons nos vêtements que nous portons comme nous pouvons. Pour rappel, nous avons deux sacs à roulettes, 4 sacs à dos pour le matériel sensible (ordinateurs, tablettes, cours des filles, quelques jouets pour Alice…), la sacoche appareil photo. Il faut ajouter un petit sac de sport Adidas, acheté récemment, qui nous sert à transporter le linge sale que nous n’avons pas eu le temps de laver. Nous épargnons Alice, qui marche sans sac à dos. Nous nous répartissons le reste à 3. Commence un long exode. Des dizaines de personnes marchent sur la route dans les deux sens. Beaucoup de péruviens. Parfois des femmes ou des hommes âgés, chargés de lourds fardeaux. Mais aussi des touristes, qui ont comme nous abandonné leur car. Nous commençons par longer une très longue file de véhicules arrêtés sur le bord de la route, peut-être sur près d’un kilomètre. Nous arrivons ensuite vers des mini barrages faits de brics et de brocs : des pierres plus ou moins grosses éparpillées sur le sol, des choses calcinées encore fumantes dégageant des odeurs âcres, des carcasses de voiture brûlées, des restes de véhicules agricoles, des pneus…

Après deux kilomètres de marche, le premier barrage réel avec quelques grévistes se présente devant nous. Nous sommes obligés pour la première fois de porter nos valises sur quelques mètres. Des mots, des insultes s’échangent en espagnol entre les personnes qui passent et les grévistes. Rien de bien violent, pour autant. Aucun véhicule à 4 roues ne pouvait passer où nous sommes passés. Quelques 2 roues nous dépassent de temps en temps, parfois chargées de 3 personnes.

Notre marche continue ainsi, entre débris divers, objets calcinés fumants. Nous commençons à apercevoir des mini-taxis à 3 ou 4 roues, des véhicules bringuebalants, qui nous hèlent pour nous proposer de nous accompagner, évidemment moyennant rémunération. Après environ 4 kilomètres, nous voyons la tête de notre groupe s’arrêter auprès d’une station service fermée. Je m’approche pour comprendre ce qui se passe. Je me dis que nous sommes près du but. Que nenni! J’apprends qu’il nous reste encore 4 kilomètres de marche. Les gens qui me connaissent anticipent probablement la suite des événements. Je m’énerve! Tout juste si d’autres personnes me soutiennent dans ma protestation. Mes arguments sont simples : la compagnie ne nous a pas dit la vérité – marcher 2 km ou 8 km ce n’est pas la même chose, nous avons des enfants, nous sommes chargés de bagages, nous marchons en plein soleil à plus de 3.500 m d’altitude, si quelqu’un a un problème de santé ce sera leur responsabilité, ils doivent trouver une solution. Les deux personnes de la compagnie qui sont restées avec nous, un conducteur et une jeune femme, passent quelques appels et nous proposent finalement de faire véhiculer les enfants et les bagages les plus importants par un villageois. Les quelques 6 à 7 enfants, dont Emma et Alice, sont ainsi placés dans un véhicule avec plateforme à l’arrière. La jeune femme de la compagnie monte avec eux. Ils nous garantissent la sécurité de l’opération. Nous laissons partir ainsi nos deux filles, qui ne semblent pas inquiètes outre mesure. De notre côté, nous reprenons notre longue marche dans les rues de Llave, jonchées de détritus en tout genre. Heureusement, nous n’avons plus nos grands sacs.

Nous marchons encore une heure ainsi et arrivons à l’extrémité est de la ville, devant une rivière. A cet endroit, un pont permet à la route de chevaucher la rivière. Nous retrouvons Emma et Alice, pas trop inquiètes. J’apprendrai plus tard, qu’elles ont vu devant elles, courir des gens. La situation semble très confuse quand nous arrivons. Des villageois nous apprennent que la route du pont est coupée car des groupes lancent des pierres sur les passants. Les deux personnes de la compagnie semblent dépassées par les événements. Elles nous proposent de faire demi-tour pour retourner à Puno. Cette fois-ci, je ne suis pas le seul à protester. Certaines personnes décident de lâcher le groupe pour trouver d’autres méthodes pour continuer. Une française indique qu’elle doit absolument continuer car elle doit prendre un avion le lendemain à La Paz. Nous apprenons, au passage, que la compagnie n’a pas de bus qui nous attend de l’autre côté de la rive. La solution à laquelle ils pensaient dès le départ, c’est de nous faire continuer le voyage, à leur frais, dans des collectivos, petits taxis fourgonnettes pouvant prendre une quinzaine de personnes. Une nouvelle fois ce mensonge me met en colère mais je me dis que l’essentiel est de rejoindre La Paz et que même si le confort n’est plus celui que nous avons payé, il est préférable de maintenir la pression sur la compagnie plutôt que de partir à l’aventure avec d’autres qu’il faudra de toute façon payer. Pour tout vous dire, je ne comprends pas ceux qui sont partis sans demander de remboursement et en acceptant de payer encore autre chose. Après de longues minutes d’attente et de discussion, les personnes de la compagnie nous proposent de rejoindre la rive est de la rivière par un pont qui se trouve plus au nord. Nous acceptons cette solution.

Une nouvelle fois, nous voilà repartis pour marcher avec nos bagages. Cette fois-ci, nous ne sommes plus sur une route goudronnée mais sur des chemins caillouteux. Heureusement, les roues de nos sacs sont tout terrain et passent pas trop mal. Cette fois-ci, nous passons devant les yeux de centaines de péruviens installés pour regarder le conflit qui semble se durcir entre grévistes et policiers. Nous entendons ce qui ressemble à des coups de feux, nous voyons des fumées de lacrymogènes… Heureusement, nous sommes loin. Les villageois qui nous regardent sourient, lancent des plaisanteries. Est-ce de la sympathie, de la moquerie, un sentiment de revanche sur les gringos que nous incarnons à leurs yeux? Je ne saurais le dire. Mais en tout cas, je ne leur en veux pas et je souris avec eux, malgré la difficulté de l’effort et l’épuisement.

Après 10 kilomètres de marche, nous rejoignons enfin les fameux collectivos. Nos valises sont balancées sur les toits. Nous attendons encore une bonne demi-heure et nous partons enfin. Quand on regarde la carte, on s’aperçoit que Llave, la bien nommée (ça veut dire clé en espagnol) est un point de passage obligé entre Puno et la frontière bolivienne, sauf à faire un très long détour par des routes incertaines (peut-être des pistes!).

Une heure et demie de route dans le collectivo et nous rejoignons la frontière avec le Pérou. A cet endroit, nous quittons le collectivo qui n’est pas habilité à franchir la frontière. Nous faisons les formalités administratives côté péruvien, puis côté bolivien. Les postes frontières sont logés dans des bâtiments miséreux et dérisoires. Mais le contrôle se passe rapidement. La jeune femme de la compagnie de car, seule à nous avoir accompagnés aussi loin, nous invite désormais à monter dans un nouveau collectivo pour aller jusqu’à Copacabana. Enfin, je monte dans un collectivo avec une quinzaine de personnes. Elise, les filles et l’accompagnatrice montent pour leur part dans un taxi. En arrivant à Copacabana les filles rient beaucoup car le taxi qui comptent 7 places a réussi à faire monter 9 personnes, en finissant par asseoir un vieux monsieur sur un coussin au-dessus du frein à main!

A Copacabana, la femme de l’agence Transzela nous explique que nous venons de rater notre car pour La Paz! Elle nous propose de nous chercher des places dans un autre car. Elle part à pied dans le centre ville qui se trouve à environ 500 mètres de l’agence. Au bout d’une vingtaine de minutes, nous la voyons revenir en courant pour nous dire de nous dépêcher car elle a trouvé un car qui est sur le point de partir. Après une marche forcée, nous rejoignons le car en question : il n’a pas de climatisation, les sièges sont minuscules, les espaces entre rangées le sont tout autant, de gros chiens montent à l’arrière du car, les fenêtres sont laissées ouvertes pour faire l’aération. Nous sommes loin du car présenté la veille! Mais nous faisons contre mauvaise fortune bon coeur.

Après une nouvelle heure de route, nous voilà arrivés au détroit de Tiquina. Je m’attendais naïvement à ce que nous fassions la traversée à bord d’un ferry… En approchant du quai, dans une rue qui ne nous permet pas de voir le détroit, tous les passagers sont invités à descendre. On nous dit que nous remonterons plus loin. Finalement, au bout de la rue nous découvrons un spectacle étonnant : des dizaines de barges font faire la traversée aux voitures, aux cars et à tous les véhicules qui veulent franchir le détroit. Le lac semble très agité à cet endroit. On voit les cars tanguer de manière impressionnante. De notre côté, nous comprenons que nous devons payer la traversée (pas chère!) pour l’effectuer sur de petites embarcations d’une quinzaine de personnes. Nous voilà partis sur cet eau aux vagues vigoureuses. Ca tangue, ça balance dans tous les sens. Plusieurs fois, je me dis qu’il suffirait de pas grand chose pour que le bateau se renverse. J’ai d’ailleurs été invité au départ du bateau à changer de place pour mieux équilibrer. Alice et moi, qui nous trouvons face à face à l’arrière et à l’extérieur, sortons du bateau bien mouillés.

Après une pause « commodités », nous remontons dans le car, en route pour La Paz. Il nous reste encore environ 2 heures de route. Les derniers kilomètres, dans les faubourgs de La Paz nous semblent interminables. Nous n’avançons plus qu’au pas. Le spectacle autour de nous est étourdissant entre le fracas des klaxons, les piétons qui traversent n’importe comment, les véhicules qui ressemblent pour certains à de vieux débris. La chaleur dans le car devient insupportable. Le soleil a déjà fortement décliné quand nous découvrons la splendide cuvette de La Paz, entourée de montagnes, dont certaines sont enneigées. Après encore quelques kilomètres faits au pas, le car s’arrête dans un carrefour encore plus bruyant et plus chaotique que les précédents. Il nous annonce que le car s’arrête ici. Selon Google, nous n’avons pas rejoint le terminal de bus qui se trouve à 2 kilomètres. Avant de descendre, le chauffeur de car nous dit que ce lieu est plutôt mal famé et qu’il faut faire très attention. Pas de terminal de taxi, des taxis qui passent devant nous déjà occupés, beaucoup de collectivos (des dizaines!) qui passent près de nous en klaxonnant… Finalement, je parviens à héler un taxi qui ne semble pas spécialement intéressé pour nous prendre. Quand je lui parle du quartier où nous devons aller, il réfléchit et finit par me dire de monter. Je ne négocie pas le prix car je suis déjà content d’avoir trouvé quelqu’un dont mon instinct me dit qu’il est digne de confiance. Je lui demande malgré tout le prix : il me dit « setenta », c’est-à-dire 70 bolivianos (environ 8 euros). Je pense que c’est cher pour le pays, mais je valide sa proposition.

Je pensais que nous étions sauvés. Mais nous avons encore souffert avec le taxi qui ne connaissait pas l’adresse, n’avait ni plan, ni GPS. J’ai dû le guider avec Google, une fois arrivé dans le quartier. Après 12 heures de voyage, c’est épuisé comme jamais, et avec un profond sentiment de soulagement que nous avons découvert l’appartement cosy qui se situe dans le quartier des ambassades. Nous y séjournerons jusqu’au 8 novembre, date de notre envol pour São Paulo.