Jour : 25 juin 2019

Statues d’Erevan

Voici quelques photos des innombrables statues qui peuplent et embellissent la capitale arménienne. Nous sommes en pleine construction du récit national… Evidemment les statues de Lénine, Staline et Marx ont disparu.

De gauche à droite et de haut en bas :

  • photo 1 : Zoravar Andranik (1865-1927), militaire – inaugurée en 2002
  • photo 2 : Vardan II Mamikonyan (?-451), chef militaire – inaugurée en 1985

  • photos 3 et 4 : Yeghishe Charents (1897-1937), poète, victime des purges staliniennes – inaugurée en 1985
  • photo 5 : Vahan Teryan (1885-1920), poète et politicien – inaugurée en 2000
  • photo 6 : chien de race gampr (ou berger arménien), endémique de la région – inaugurée en 2018 (offert par la communauté arménienne des Pays-Bas)
  • photo 7 : l’Arménie ressuscitée – inaugurée en 1985
  • photo 8 : Komitas (1869-1935), prêtre et musicien né en Turquie, mort en exil en France – inaugurée en 1988
  • photo 9 : Aram Khachatryan (1903-1978), compositeur – inaugurée en 1999
  • photo 10 : Hovhannès Toumanian (1869-1923), écrivain – inaugurée en 1957
  • photo 11 : Alexandre Spendarian (1871-1928), compositeur – inaugurée en 1957
  • photo 12 : Arno Babadzhanyan (1921-1983), pianiste – inaugurée en 2003
  • photo 13 : Smoking woman de Fernando Botero – inaugurée en 2012
  • photo 14 : Big Blue Kiwi de Peter Woytuk
  • photo 15 : Guerrier romain de Fernando Botero – inaugurée en 2002
  • photo 16 : Chat de Fernando Botero – inaugurée en 2002
  • photo 17 : Aram Manoukian (1879-1919), politicien, révolutionnaire et général – inaugurée en 2018
  • photo 18 : Lion
  • photo 19 : Alexander Myasnikyan (1886-1925), révolutionnaire bolchevik – inaugurée en 1980

 

Nation

Une fois n’est pas coutume, je vous inflige aujourd’hui un article plus politique.

Avant d’écrire quelques mots sur l’histoire de l’Arménie, j’ai eu envie d’écrire cet article sur la notion de nation. Cela peut paraître hors de propos dans un blog de voyage. Mais ça ne l’est pas. Un voyage, surtout un tour du Monde, est une occasion de se confronter avec la différence. D’ailleurs le pluriel sied mieux au mot « différence » dans le cas présent car cette altérité est polymorphe ; elle touche la langue, la culture, l’environnement climatique et ses conséquences sur l’organisation de la vie, la géographie, l’histoire, la politique… Mais au-delà de la rencontre de l’autre, le voyage est aussi l’occasion de prendre du recul par rapport à la vie laborieuse qui accapare souvent l’esprit et l’empêche de s’ouvrir à des questions plus globales.

Lors de notre tour du Monde nous aurons visité une vingtaine de pays. Partout nous avons rencontré les mêmes constructions politiques visant à donner un sens au mot pays, à marquer la différence entre les citoyens et les étrangers, à narrer un récit national, à susciter le sentiment d’appartenance à la nation et développer une fierté nationale. Nous traversons des frontières. A chaque fois, le même processus se répète. Les douaniers auscultent les passeports, vérifient l’adéquation de la photo avec la personne physique qu’ils ont en face d’eux. Pour l’anecdote, ils ont souvent tiqué en voyant la photo d’Elise car l’orage que nous avons subi en visitant les ruines mayas de Coba, a irrémédiablement altéré la photo de son passeport. Les douaniers finissent par délivrer l’autorisation d’entrée dans le territoire en apposant leur tampon. Leur visage généralement fermé manifeste le sérieux de l’affaire! Et ensuite, les personnes que nous rencontrerons nous demanderont systématiquement comme première question, d’où nous venons, comme si le pays d’émission de notre passeport était la chose primordiale qui nous définissait. Lorsque nous naissons, nous sommes étiquetés, catégorisés, enfermés dans une entité nationale. Tout ce que je dis semble évident. Mais je crois qu’il faut se méfier des évidences, les remettre en question, pour progresser un peu sur le chemin de la liberté.

Bien sûr, je ne nie pas que le fait d’être français, d’avoir été à l’école en France, de lire essentiellement en français, de penser et de m’exprimer avec la langue française, sont des éléments déterminants qui définissent ma personne. Pour autant, je suis persuadé qu’en tant qu’être humain je suis beaucoup plus proche, par la pensée et la personnalité, de beaucoup de personnes qui ne sont pas françaises que de la plupart de mes concitoyens. Et je ne dis pas cela pour critiquer mes concitoyens, quoique parfois les réactions collectives en France me plongent dans un désarroi sans fond. La nationalité est une base qui fonde l’individu. Si le pays d’appartenance est inscrit dans l’histoire personnelle de chacun, je ne pense pas qu’il s’agisse de la caractéristique principale d’un individu.

Ceci étant posé, je trouve intéressant de s’interroger sur ce qu’est une nation. Je défie quiconque de donner une définition claire et universelle de cette notion. Je vous laisse lire les définitions qui sont dans les dictionnaires. Je n’en ai pas sur moi! Voici la définition du Wiktionnaire : « Ethnie, peuple, communauté humaine qui possède une unité historique, linguistique, culturelle, économique plus ou moins forte ». Peut-on faire définition plus vague? On y lit les efforts faits par l’auteur pour englober des situations bien éloignées les unes des autres. Qu’est-ce qui détermine les contours d’une nation? Ses frontières? Les frontières n’ont cessé de changer depuis des siècles. Elles sont souvent la cause des guerres. Tel pays ou tel peuple veut récupérer tel territoire sur lequel il estime avoir des droits ancestraux. Malheureusement, il est difficile de définir cette notion de droit car l’Histoire est faite de conquêtes, reconquêtes, métissages, mouvements de population, échanges commerciaux et culturels, émigration et immigration… Puisqu’il n’y a pas de droit qui fasse sens, c’est souvent la loi du plus fort qui finit par dessiner le contour des frontières. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale a tenté de figer les frontières pour éviter de nouveaux conflits. Le droit international est une expression utilisée pour défendre l’intangibilité des frontières. Certains ont même évoqué la fin de l’Histoire. Des frontières définitives qui définissent une permanence du Monde. Est-ce que cela a du sens? La volonté d’empêcher les conflits est en soi louable. Malheureusement, nous constatons que cet espoir a vite été déçu. Les empires coloniaux se sont désagrégés et ont créé des frontières et fait naître des pays qui, pour beaucoup d’entre eux, n’avaient jamais existé en tant que tel avant la seconde guerre mondiale. Les frontières sont souvent contestées et objets de conflits ouverts ou larvés. L’Union Soviétique que l’on peut considérer d’une certaine manière comme le dernier empire à s’être effondré a donné naissance à 15 pays. On voit bien à quel point les frontières de ces pays ne sont pas stables. Plus proche de nous, il faut également se souvenir de la désagrégation de la Yougoslavie qui a donné naissance à 7 pays aux frontières fragiles. Aujourd’hui, la Serbie et le Kosovo envisagent d’échanger des morceaux de territoire pour donner plus de cohérence à leurs périmètres nationaux. Encore plus proche, qui peut dire que la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne ou le Canada garderont dans les prochaines décennies leurs frontières actuelles? Enfin, les frontières françaises elles-mêmes ne sont stabilisées que depuis 75 ans. Qu’est-ce que 75 ans à l’échelle de l’Histoire? La longue période de paix que l’Europe occidentale a connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale a fait naître le sentiment que la paix était éternelle dans ce coin du Monde. Je suis convaincu que tout cela reste fragile et que la paix n’est jamais définitivement acquise.

Les frontières ne suffisent pas à définir ce qu’est une nation.

Est-ce la langue? Nous partageons la même langue avec nos voisins wallons et romans, avec nos cousins québécois, sans parler des anciennes colonies qui ont gardé le français comme langue officielle. Formons-nous pour autant une nation? Bien sûr que non! A l’inverse donnons-nous raisons aux séparatistes flamands ou catalans qui fondent une partie de l’argumentaire en faveur de la séparation sur une différence linguistique. Est-ce que ces pays multi-linguistiques n’ont pas lieu d’être? Que dire de la Chine qui compte des dizaines de langues ou dialectes différents classés en 8 grandes familles linguistiques?

La langue, pas plus que les frontières, ne suffit à définir une nation.

La même démonstration peut être faite avec la religion.

Si ni les frontières, ni la langue ni la religion suffisent à définir la nation, alors peut-être que l’histoire commune permet-elle d’y parvenir? Mais de quelle histoire parlons-nous? Celle des bretons, celle des alsaciens, celle des bourguignons ou celle des basques? Il n’y a pas une histoire. Il y a des histoires entremêlées où les dimensions locales, régionales, nationales, globales se superposent.

On le voit, il n’est pas possible de trouver une définition claire et universelle de la nation. C’est une notion fortement colorée de politique. On construit des récits nationaux, on s’invente une histoire commune, on glorifie des héros, pour créer une cohésion nationale, susciter l’adhésion et la fierté. Vous comprenez pourquoi je me méfie de ce mot. Parce qu’il correspond à une construction artificielle qui fait oublier aux hommes leur caractéristique principale : leur humanité. Dans son livre « Sapiens : une brève histoire de l’humanité », l’historien Yuval Noah Harari nous rappelle que les nations sont des pures inventions humaines : des concepts, autrement dit des idées. Le mot nation exclut, oppose, pointe du doigt l’étranger voire désigne un ennemi.

La notion de pays me semble plus aisée à manier. Un pays se définit par un territoire, une citoyenneté, un régime politique, des lois, à un moment donné de l’Histoire. Je crois que ce serait une erreur de considérer que les pays tels qu’ils existent aujourd’hui sont des entités stables. L’Histoire n’est pas finie. Est-ce que le Monde continuera à évoluer vers un morcellement en entités politiques toujours plus petites ou est-ce qu’au contraire émergeront des ensembles plus vastes? Les 2 mouvements, vers plus de globalité ou vers plus de proximité, ont leurs atouts et leurs défenseurs. La gestion plus globale permet de mieux appréhender l’intérêt général (pour peu que les mécanismes en place permettent d’éviter que cette gestion ne soit accaparée par de grands pays prédateurs à leurs seuls profits!). L’Europe, l’ONU ou les conférences internationales sur le climat correspondent à une tentative de prendre en compte l’intérêt général. Malheureusement, nous constatons que ces organisation souffrent de certaines limites et qu’elles restent dominées par la confrontation des intérêts nationaux. Malgré tout l’Europe me semble une tentative plus concrète et plus aboutie de dépasser les seuls intérêts particuliers. Et n’oublions jamais que ce travail en commun avec nos voisins, s’il est compliqué, mal aisé, est infiniment préférable à la concurrence des nations, qui mène in fine à la confrontation. La gestion globale est compliquée. Les progrès paraissant lents et la globalisation économique (qui est souvent confondue avec la globalisation de la politique) étant souvent source de souffrances, de nombreuses personnes ne croient plus aujourd’hui aux solutions globales et cherchent un refuge dans des organisations de proximité, ressenties comme étant plus à taille humaine et plus en adéquation avec les enjeux écologiques de notre temps. Je crois évidemment que la solution réside dans une bonne articulation entre le niveau global et le local. Penser l’un sans l’autre me semble être une erreur.